Quand l’école dicte ses lectures

Alors que l’on se désole parfois de voir les grands classiques de la littérature disparaître peu à peu des listes de lectures imposées à l’école, je ne peux m’empêcher de me demander s’il ne faudrait pas revoir la notion même de lectures imposées. Et si « lire pour l’école » faisait plus de mal que de bien? Quels sont ces livres que l’école entend nous obliger à lire et pourquoi valent-ils mieux que d’autres? Surtout, quels sont les avantages et les inconvénients des lectures scolaires? Je vous propose mon avis sur la question.

Les avantages

Faire découvrir la lecture aux jeunes

J’ai déjà parlé des bienfaits de la lecture, et je pense qu’il est primordial d’en faire profiter les enfants dès leur plus jeune âge en leur proposant des histoires légères et variées. Pour beaucoup, l’école est la première porte d’accès au monde merveilleux des livres, et les lectures à haute voix des professeurs sont toujours des moments privilégiés. À mesure que les enfants grandissent, ils pourront choisir de maintenir l’habitude de lire et d’affiner leurs préférences en matière de livres.

Préserver l’histoire et la culture

Un livre, c’est une capsule temporelle reflétant l’époque à laquelle il a été écrit, pour le meilleur ou pour le pire. Les classiques, en particulier, ouvrent une fenêtre sur leur temps. Préserver ces ouvrages, c’est maintenir notre lien avec le passé. En abordant les classiques avec ses élèves, l’école s’assure de préserver la mémoire du passé.

Amorcer une routine de lecture

Une fois que l’élève a appris à lire, il est crucial de l’encourager à en faire une habitude. Avoir un programme de lecture régulier peut être une bonne façon de l’aider à trouver son rythme de lecture et à poursuivre seul.e ses découvertes par la suite.

Les inconvénients

La lecture comme corvée

Imposer de lire un livre spécifique, c’est le transformer en corvée, un devoir parmi tant d’autres. Que nous soyons enfants, adolescents ou adultes, le meilleur moyen de rendre une lecture ennuyeuse, c’est de la rendre obligatoire. Si en plus le livre imposé est un classique un peu poussiéreux, il sera d’autant plus pénible de le lire.

Quantifier la lecture

Non seulement l’élève est obligé.e de lire un livre donné, mais il lui faut ensuite répondre à une interrogation qui quantifiera son appréhension de l’oeuvre. Des choses objectives comme les noms des personnages ou les dates et lieux cités seront passés à la loupe, s’attardant sur des détails qui ne disent rien sur le livre en question.

Pire encore, la question du « Pourquoi l’auteur a-t-il écrit X? » ou « Que veut dire le moment Y? », qui sous-entend qu’il n’y a qu’une bonne façon d’interpréter l’histoire et son message. Oubliez ainsi votre esprit critique : il n’y a qu’une bonne réponse, et l’école s’empressera de vous la fournir.

Peu de place pour l’individu

Imposer des livres précis, c’est empêcher l’élève d’explorer ceux qui lui parleraient peut-être plus. C’est d’autant plus vrai dans le cas des grands classiques cités plus haut. Si beaucoup abordent des thèmes intemporels, leur style un peu dépassé peut rebuter les jeunes lecteurs d’aujourd’hui. Bien sûr, il est important de les aborder en cours, mais ils ne constituent pas toujours l’entrée la plus accessible dans le monde littéraire.

Et cela sans parler du fait que les livres imposés appartiennent en grande majorité à deux genres spécifiques : les classiques et les contemporains. Amis de la science-fiction et de la fantasy, vous trouverez rarement votre bonheur dans les lectures scolaires.

Ce que j’en dis

J’ai eu énormément de chance en terme de lecture. Fille d’une maman lectrice et d’un papa qui m’a encouragée à sa façon à lire par moi-même*, je n’ai pas attendu l’école pour m’intéresser à la littérature. Mes films préférés étaient adaptés de livres, mes héros et héroïnes étaient avides de lecture – citons par exemple Jo March et Matilda. C’est avec beaucoup d’enthousiasme que je me suis lancée dans le monde des livres. L’école maternelle avait pour habitude de proposer une sélection de livres, dans laquelle nous étions invité.es à piocher régulièrement, et je ne m’en suis jamais privée. Et puis est venue l’école secondaire**.

C’est à ce moment que l’école se met à imposer des listes de livres, et c’est là que les ennuis commencent. Sur toutes les lectures obligatoires qui ont pavé mon adolescence, il n’y en a que très peu qui m’ont plu, et aucune de manière durable. L’année de mes 15 ans, notamment, je suis passée de La Grammaire est une Chanson Douce, beaucoup trop infantile, au Tour du Monde en 80 Jours. Il y a beaucoup de classiques accessibles à un public jeune et moderne, mais que M. Verne me pardonne, celui-là n’en fait pas partie.

J’ai eu beaucoup de mal à lire les livres qu’on m’imposait, à plus forte raison parce que je suis incapable de me concentrer sur une chose qui ne m’intéresse pas. La lectrice invétérée que j’étais obtenait des notes très moyennes pour ses rapports de lecture. Quel soulagement quand je suis arrivée à l’école supérieure*** et que j’ai découvert que le programme de lecture correspondait à peu de choses près à mes goûts! Mieux encore, la dernière lecture de l’année était à choisir soi-même dans une sélection. Au moment de l’examen, j’ai noirci plusieurs pages avec mon analyse du livre****.

Et c’est, selon moi, la meilleure façon d’aborder la lecture à l’école. Proposer une sélection de livres dans lesquels les élèves pourront faire leur choix selon leurs goûts. Ils prendront peut-être simplement le livre le plus court, mais le simple fait d’avoir pu choisir par eux-mêmes peut empêcher de voir la lecture comme une chose pénible par laquelle il faut bien passer. De même, il me semble plus productif d’échanger des idées en classe que de répondre à des questions fermées sur un test écrit.

Par-dessus tout, et c’est peut-être une opinion controversée, je ne pense pas qu’un livre soit meilleur qu’un autre pour donner le goût à la lecture. Que les élèves lisent Shakespeare ou John Green, l’importance est qu’ils lisent. Les auteurs contemporains leur parleront sans doute plus que les grands maîtres et après tout, il faut apprendre à marcher avant de vouloir courir. Du reste, les classiques seraient peut-être moins intimidants si les élèves commençaient par leurs réinterprétations modernes.

L’école apprend aux enfants à lire, mais pas à être lecteurs.rices. Pourtant, tout n’est pas perdu : quoi qu’on en dise, les jeunes continuent à lire par eux-mêmes, bien qu’ils puissent le faire différemment. Peut-être l’école devrait-elle revoir sa copie et se montrer plus flexible dans sa façon d’aborder la littérature?


* Coucou, Maman! Et merci de m’avoir appris la signification du mot « euphémisme »!

** Si un.e lecteur.rice français.e passe par ce blog, laissez-moi vous faire la traduction : en Belgique, « école primaire » couvre l’école du CP à la 6ème collège, et « école secondaire » de la 5ème collège à la terminale ou à l’année préparatoire, selon le type d’étude. Je vous met le lien du descriptif complet qu’a fait le site de la ville de Mouscron dans les sources.

*** La fac.

**** Tout ce que j’aimais de Siri Hustvedt, toujours un de mes favoris de tous les temps.


Sources

Sites web

Babelio
Mouscron.be
La Libre

Crédit photos

Image d’en-tête : ©Pexels

4 réflexions sur “Quand l’école dicte ses lectures

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